mercredi 29 novembre 2017

1er Journal des infos dont on parle plutôt peu (2017-18)

Loin du psittacisme médiatique, il y a bon nombre d'événements qui nous interpellent autrement dont on ne parle que peu ou sous un angle qui nous enfonce carrément dans l'intox. Nous passons internet au peigne fin dans le but d'y repérer et choisir des faits, sujets ou positions hors actu qui vont constituer la matière de notre journal des infos dont on ne parle que plutôt peu. En voici notre premier sommaire de cette année (pour le 29.11.17) et merci à mes élèves pour leurs contributions !

8e Journal des infos fin d'année scolaire

Un peu en retard, voici notre dernier journal des infos de l'année scolaire 2016-17, présenté en classe le 25 mai 2017. Hommage aussi à mes anciens élèves. Tout à vous.



Le suprémacisme a son jargon...

... qui est employé à longueur de journée par toutes les instances du pouvoir dans le but qu'il soit ensuite intériorisé et réutilisé par le peuple souverain, éduqué donc comme il faut. Bien entendu, les individus souverains peuvent aussi être des journalistes à la candeur émouvante (« L’orthodoxie, c’est l’inconscience », disait George Orwell dans 1984).
Voyons, exercice d'acuité lectrice (et ce jeu ne concerne pas Trump dont le suprémacisme saute aux yeux) appliquée à la langue innocente et très légitime (aurait dit Bourdieu) d'un journal de référence :
Trump gâche par une blague douteuse un hommage à la Maison Blanche

Alors qu’il recevait des anciens combattants amérindiens, le président américain a fait lundi une surprenante allusion à « Pocahontas », surnom dont il a affublé la sénatrice démocrate Elizabeth Warren.
LE MONDE | 28.11.2017 à 02h02 • Mis à jour le 28.11.2017 à 07h26 | Par Gilles Paris (Washington, correspondant)

Le président Donald Trump aux côtés de Navajos, lors d’une cérémonie d’hommage à la Maison Blanche le 27 novembre.

La réception devait être consensuelle. Donald Trump recevait à la Maison Blanche, lundi 27 novembre, trois des treize Navajos encore vivants qui avaient mis leur dialecte au service de l’armée américaine pendant la seconde guerre mondiale. Un code de communication que les ennemis des Etats-Unis n’avaient pas été en mesure de déchiffrer. Le président des Etats-Unis est pourtant parvenu à gâcher l’hommage en ravivant les critiques qu’il nourrit de longue date contre la sénatrice démocrate du Massachusetts, Elizabeth Warren. (...)
Voilà, maintenant vous savez ce que "dialecte" veut dire. C'est cela : c'est le parler des losers (même s'il-s contribue-nt à gagner une guerre mondiale).
D'ailleurs, les images sont parfois significatives : le tableau que l'on aperçoit entre Donald Trump et les deux héros Navajos de la photo est bel et bien celui d'Andrew Jackson, président —revendiqué par Trump— qui signa en 1830 l'Indian Removal Act, la brutale loi démocrato-coloniale à l'origine de la Piste des Larmes... Encore un détail de doigté du régime aux values...
Et qu'est-ce que c'est que cette piste des larmes ? Encore un massacre de la civilisation et du progrès, encore un broyage de la machine coloniale : "les soldats à cheval forcèrent à marcher, pendant 1750 kilomètres jusqu'à l'épuisement. 15 000 Indiens, femmes et enfants : 4 000 d'entre eux devaient mourir en route."

Daniel Coté (1) a fait le 26 août 2017 la recension d'un ouvrage (2) à ce sujet que nous devons à l'autrice canadienne Russel-Aurore Bouchard (chantre, par ailleurs, des armes à feu, armurière pendant 25 ans et fondatrice du Club de tir «Le Faucon»). Coté nous explique que l'essentiel du texte est formé du témoignage d'Eugène Roy, soldat qui participa au génocide des Indiens, "dont le manuscrit repose à la Société historique du Saguenay depuis 1937".

«C'est un texte extraordinaire, sans filtre, qui nous fait entrer dans la légende du Far-West, dans l'univers de la Frontière. On assiste au plus grand génocide de l'histoire de l'Humanité, alors que des millions d'Indiens ont été massacrés de façon méthodique afin qu'on puisse céder leurs terres à des Blancs. La Piste des Larmes est un sentier qui partait de Fort Smith et se rendait jusqu'à Santa Fe. On y a créé des réserves qui, en fait, étaient des mouroirs. Les gens étaient abandonnés en plein désert. Plusieurs souffraient de la dysenterie», a décrit Russel-Aurore Bouchard, mardi, lors d'une entrevue accordée au Progrès.
(Le Quotidien - Le Soleil,
26 août 2017)

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(1) Daniel Coté est journaliste et responsable de la section des arts dans les journaux Le Quotidien et Progrès-Dimanche
(2) La Piste des Larmes - Un Canadien français témoin du génocide des Indiens des Grandes Plaines - Journal du soldat Eugène Roy (1857-1860), Chicoutimi, 2017, 532 pages.

lundi 13 novembre 2017

Manifeste d'urgence sur l'état de la planète signé par 15 364 scientifiques

Le Monde, renseignent que plus de 15 000 scientifiques de 184 pays nous alertent sur l'état, pénible, de la planète Terre. Ils ont signé un appel à cet égard et ils sonnent ce tocsin aujourd'hui, lundi 13 novembre, dans la revue BioScience. Foucart et Valo nous rappellent :
C’est la deuxième fois que les « scientifiques du monde » adressent une telle mise en garde à l’humanité. Le premier appel du genre, publié en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre à Rio (Brésil), avait été endossé par quelque 1 700 chercheurs, dont près d’une centaine de Prix Nobel. Il dressait déjà un état des lieux inquiétant de la situation et s’ouvrait sur cette alerte : « Les êtres humains et le monde naturel sont sur une trajectoire de collision. » Ce premier appel n’a pas été suivi d’effets. Un quart de siècle plus tard, la trajectoire n’a pas changé.
Voici le texte de cet appel urgent, publié par Le Monde en intégralité, dans la traduction de Gilles Berton :

Tribune

Il y a vingt-cinq ans, en 1992, l’Union of Concerned Scientists et plus de 1 700 scientifiques indépendants, dont la majorité des lauréats de prix Nobel de sciences alors en vie, signaient le « World Scientists’Warning to Humanity ». Ces scientifiques exhortaient l’humanité à freiner la destruction de l’environnement et avertissaient : « Si nous voulons éviter de grandes misères humaines, il est indispensable d’opérer un changement profond dans notre gestion de la Terre et de la vie qu’elle recèle. » Dans leur manifeste, les signataires montraient que les êtres humains se trouvaient sur une trajectoire de collision avec le monde naturel. Ils faisaient part de leur inquiétude sur les dégâts actuels, imminents ou potentiels, causés à la planète Terre, parmi lesquels la diminution de la couche d’ozone, la raréfaction de l’eau douce, le dépérissement de la vie marine, les zones mortes des océans, la déforestation, la destruction de la biodiversité, le changement climatique et la croissance continue de la population humaine. Ils affirmaient qu’il fallait procéder d’urgence à des changements fondamentaux afin d’éviter les conséquences qu’aurait fatalement la poursuite de notre comportement actuel.
Les auteurs de la déclaration de 1992 craignaient que l’humanité ne pousse les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie. Ils soulignaient que nous nous rapprochions rapidement des limites de ce que la biosphère est capable de tolérer sans dommages graves et irréversibles. Les scientifiques signataires plaidaient pour une stabilisation de la population humaine, et expliquaient que le vaste nombre d’êtres humains – grossi de 2 milliards de personnes supplémentaires depuis 1992, soit une augmentation de 35 % – exerce sur la Terre des pressions susceptibles de réduire à néant les efforts déployés par ailleurs pour lui assurer un avenir durable. Ils plaidaient pour une diminution de nos émissions de gaz à effet de serre (GES), pour l’abandon progressif des combustibles fossiles, pour la réduction de la déforestation et pour l’inversion de la tendance à l’effondrement de la biodiversité.
En ce vingt-cinquième anniversaire de leur appel, il est temps de se remémorer leur mise en garde et d’évaluer les réponses que l’humanité lui a apportées en examinant les données de séries chronologiques disponibles. Depuis 1992, hormis la stabilisation de l’amenuisement de la couche d’ozone stratosphérique, non seulement l’humanité a échoué à accomplir des progrès suffisants pour résoudre ces défis environnementaux annoncés, mais il est très inquiétant de constater que la plupart d’entre eux se sont considérablement aggravés. Particulièrement troublante est la trajectoire actuelle d’un changement climatique potentiellement catastrophique, dû à l’augmentation du volume de GES dégagés par le brûlage de combustibles fossiles, la déforestation et la production agricole – notamment les émissions dégagées par l’élevage des ruminants de boucherie. Nous avons en outre déclenché un phénomène d’extinction de masse, le sixième en 540 millions d’années environ, au terme duquel de nombreuses formes de vie pourraient disparaître totalement, ou en tout cas se trouver au bord de l’extinction d’ici à la fin du siècle.
L’humanité se voit aujourd’hui adresser une seconde mise en garde motivée par ces inquiétantes tendances. Nous mettons en péril notre avenir en refusant de modérer notre consommation matérielle intense mais géographiquement et démographiquement inégale, et de prendre conscience que la croissance démographique rapide et continue est l’un des principaux facteurs des menaces environnementales et même sociétales. En échouant à limiter adéquatement la croissance de la population, à réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la croissance, à réduire les émissions de GES, à encourager le recours aux énergies renouvelables, à protéger les habitats naturels, à restaurer les écosystèmes, à enrayer la pollution, à stopper la « défaunation » et à limiter la propagation des espèces exotiques envahissantes, l’humanité omet de prendre les mesures urgentes indispensables pour préserver notre biosphère en danger.
Les responsables politiques étant sensibles aux pressions, les scientifiques, les personnalités médiatiques et les citoyens ordinaires doivent exiger de leurs gouvernements qu’ils prennent des mesures immédiates car il s’agit là d’un impératif moral vis-à-vis des générations actuelles et futures des êtres humains et des autres formes de vie. Grâce à un raz-de-marée d’initiatives organisées à la base, il est possible de vaincre n’importe quelle opposition, aussi acharnée soit-elle, et d’obliger les dirigeants politiques à agir. Il est également temps de réexaminer nos comportements individuels, y compris en limitant notre propre reproduction (l’idéal étant de s’en tenir au maximum au niveau de renouvellement de la population) et en diminuant drastiquement notre consommation par tête de combustibles fossiles, de viande et d’autres ressources.
La baisse rapide des substances destructrices de la couche d’ozone dans le monde montre que nous sommes capables d’opérer des changements positifs quand nous agissons avec détermination. Nous avons également accompli des progrès dans la lutte contre la famine et l’extrême pauvreté. Parmi d’autres avancées notables, il faut relever, grâce aux investissements consentis pour l’éducation des femmes et des jeunes filles, la baisse rapide du taux de fécondité dans de nombreuses zones, le déclin prometteur du rythme de la déforestation dans certaines régions, et la croissance rapide du secteur des énergies renouvelables. Nous avons beaucoup appris depuis 1992, mais les avancées sur le plan des modifications qu’il faudrait réaliser de manière urgente en matière de politiques environnementales, de comportement humain et d’inégalités mondiales sont encore loin d’être suffisantes.
Les transitions vers la durabilité peuvent s’effectuer sous différentes formes, mais toutes exigent une pression de la société civile, des campagnes d’explications fondées sur des preuves, un leadership politique et une solide compréhension des instruments politiques, des marchés et d’autres facteurs. Voici – sans ordre d’urgence ni d’importance – quelques exemples de mesures efficaces et diversifiées que l’humanité pourrait prendre pour opérer sa transition vers la durabilité :
  1. privilégier la mise en place de réserves connectées entre elles, correctement financées et correctement gérées, destinées à protéger une proportion significative des divers habitats terrestres, aériens et aquatiques – eau de mer et eau douce ;
  2. préserver les services rendus par la nature au travers des écosystèmes en stoppant la conversion des forêts, prairies et autres habitats originels ;
  3. restaurer sur une grande échelle les communautés de plantes endémiques, et notamment les paysages de forêt ;
  4. ré-ensauvager des régions abritant des espèces endémiques, en particulier des superprédateurs, afin de rétablir les dynamiques et processus écologiques ;
  5. développer et adopter des instruments politiques adéquats pour lutter contre la défaunation, le braconnage, l’exploitation et le trafic des espèces menacées ;
  6. réduire le gaspillage alimentaire par l’éducation et l’amélioration des infrastructures ;
  7. promouvoir une réorientation du régime alimentaire vers une nourriture d’origine essentiellement végétale ;
  8. réduire encore le taux de fécondité en faisant en sorte qu’hommes et femmes aient accès à l’éducation et à des services de planning familial, particulièrement dans les régions où ces services manquent encore ;
  9. multiplier les sorties en extérieur pour les enfants afin de développer leur sensibilité à la nature, et d’une manière générale améliorer l’appréciation de la nature dans toute la société ;
  10. désinvestir dans certains secteurs et cesser certains achats afin d’encourager un changement environnemental positif ;
  11. concevoir et promouvoir de nouvelles technologies vertes et se tourner massivement vers les sources d’énergie vertes tout en réduisant progressivement les aides aux productions d’énergie utilisant des combustibles fossiles ;
  12. revoir notre économie afin de réduire les inégalités de richesse et faire en sorte que les prix, les taxes et les dispositifs incitatifs prennent en compte le coût réel de nos schémas de consommation pour notre environnement ;
  13. déterminer à long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiquement défendable tout en s’assurant le soutien des pays et des responsables mondiaux pour atteindre cet objectif vital.
Pour éviter une misère généralisée et une perte catastrophique de biodiversité, l’humanité doit adopter une alternative plus durable écologiquement que la pratique qui est la sienne aujourd’hui. Bien que cette recommandation ait été déjà clairement formulée il y a vingt-cinq ans par les plus grands scientifiques du monde, nous n’avons, dans la plupart des domaines, pas entendu leur mise en garde. Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec, car le temps presse. Nous devons prendre conscience, aussi bien dans nos vies quotidiennes que dans nos institutions gouvernementales, que la Terre, avec toute la vie qu’elle recèle, est notre seul foyer.

A lire aussi dans la revue BioScience en anglais.
Traduit par Gilles Berton
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Mise à jour du 14/11/2017 :

Dans ce contexte, Attac France vient de publier un rapport en douze fiches (URGENCE CLIMATIQUE : ON ENTRE DANS LE DUR !) montrant des voies à suivre pour y faire quelque chose en marge des beaux discours :

rapportonentredansledurclimat.pdf
- PDF - 7 Mo

Contenu

  • Résumé : « Il ne s’agit pas de faire de notre mieux, il s’agit de faire ce qui est requis »
  • Urgence climatique : faut-il enterrer l’objectif des 2 °C ?
  • Les limites intrinsèques de l’Accord de Paris et de la gouvernance climatique
  • Crime climatique : le temps des sanctions est venu, y compris pour les « États voyous »
  • Du CETA à l’OMC en passant par la CNUCC, le commerce prime sur le climat !
  • Les dangers de la neutralité carbone et des émissions négatives
  • Emmanuel Macron : 6 mois à l’Élysée, 6 mois perdus pour le climat ?
  • Nouveau Rapport - Le poids écrasant des lobbys gaziers sur Bruxelles
  • Réforme du marché carbone européen : 200 milliards d’€ supplémentaires pour les pollueurs
  • Délinquants du climat = délinquants fiscaux ! Les mettre au pas pour financer le climat !
  • 1 million d’emplois climat : comment conjuguer climat et justice sociale ?
  • Pas un euro de plus pour les énergies du passé, fossiles ou fissiles