dimanche 29 octobre 2017

Bricks, de Quentin Ravelli

"J’avais à l’esprit le tressage d’une natte liant ces différents éléments
qui ne se rencontrent pas physiquement dans la réalité : le maire qui se bat
pour remplir sa ville fantôme, les gens qui s’organisent pour se battre
contre les banques afin de faire annuler les dettes, et bien sûr l’industrie de la brique. 
D’où la forme en mosaïque du film, le point de vue sur la crise se déplace sans cesse,
ce qui permet de comprendre différentes facettes." 
Quentin Ravelli


Barbara (biographie de la chanteuse du réalisateur Mathieu Amalric, avec Jeanne Balibar, 2017), Le Redoutable (Comédie dramatique de Michel Hazanavicius, 2017), Petit Paysan (drame de Hubert Charuel, 2017), Sans adieu (film documentaire de Christophe Agou), Un beau soleil intérieur (comédie dramatique de Claire Denis) et... Bricks : voilà les films proposés ces jours-ci par Les Trois Luxembourg, dans le VIe parisien (67 Rue Monsieur le Prince), la seule salle française où l'on peut voir aujourd'hui Bricks, justement, documentaire très récent du sociologue Quentin Ravelli (production Survivance, 1982) sur la bulle immobilière en Espagne, une création de richesse qui a explosé en 2007 (puis en 2008 en fanfare) laissant dans son sillage une multitude captive et désarmée de briques et de victimes —voire des ossatures en béton armé défigurant tous les paysages, par-dessus le marché, sur l'autel des marchés des capitaux et du productivisme.
Avant 2008, l'Espagne construisait 600 000 logements par an. Aujourd'hui, c'est un pays où il y a plus de 3,4 millions de logements vides (dont 491 000 neufs. En Europe, ce sont plus de 11 millions) et où se sont produits presque 700 000 délogements. Depuis 2008, presque la moitié des entreprises de BTP agissant en Espagne ont disparu. Mais notamment depuis fin 2014, on pense à repartir de plus belle...



Du 18 au 27 octobre, le cinéma Les Trois Luxembourg a organisé des rencontres entre le réalisateur et une variété de participants : l'association Españolas en París, Gilles Laferté, sociologue à l’INRA, et Eric Wittersheim, anthropologue à l’EHESS, Marguerite Vappereau, enseignante en cinéma à l’université de Bordeaux, Marion Lary d’Addoc (Association des cinéastes documentaristes), Alberto Amo, co-auteur de Podemos, la politique en mouvement - de l’ascension fulgurante au bras de fer politique, Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL (Droit Au Logement), Ludovic Lamant (Mediapart), auteur de Squatter le pouvoir. Les mairies rebelles d’Espagne (Éd. Lux, novembre, 2016).

Sur Télérama, Frédéric Strauss a écrit, lors de la sortie en salle (17/10/17) d'un film que nous n'avons pas encore vu :
Avec ces portraits de victimes de la crise économique qui a frappé l’Espagne, ce documentaire semble à la traîne de l’actualité. Mais le réalisateur possède un regard spirituel, qui se mêle à la réflexion critique lorsqu’il filme des usines où l’on finit par casser les briques que l’on y a fabriquées, car on ne bâtit plus dans le bâtiment ! Expulsée de son appartement, une femme emporte avec elle une photo qu’elle avait accrochée au mur : Charlot dans l’usine des Temps modernes (1936). La folie productiviste est toujours dans l’air. Et pour poursuivre l’analyse, le réalisateur Quentin Ravelli, chercheur au CNRS, a aussi écrit un ouvrage : Les Briques rouges, dettes, logement et luttes sociales en ­Espagne (éditions Amsterdam).

Quentin Ravelli : Les Briques rouges. Dettes, Logement et Luttes sociales en Espagne.

En Espagne, la brique (ladrillo) est bien davantage qu’un matériau de construction. Elle est l’un des rouages essentiel du capitalisme. Elle est au cœur de la crise de suraccumulation que connait le pays depuis le début des années 2000. Située dans la région de la Sagra en Castille, l’enquête au long cours de Quentin Ravelli, issue d’un documentaire cinématographique, parvient à reconstituer la biographie d’une marchandise ordinaire sur laquelle repose un système entier de domination économique et politique.
« Pour Angel, la cinquantaine, le choc est ce jour-là violent : il court, nerveux et angoissé, de l’extrudeuse à la “guillotine”, du “piano” au poste de contrôle. Habitué à la tuile, il a dû se reconvertir à la brique en une matinée. Il tremble, il sue, il s’énerve pour un rien. Derrière lui, un enchevêtrement de tapis roulants grincent et crient en acheminant la terre des carrières, tandis que la grosse caisse du mélangeur d’argile, surnommé le “moulin”, pousse des râles graves qui résonnent sous les tôles à chaque passage de la meule. Devant lui, l’extrudeuse ronronne. Sous pression, elle pousse sans fin un gros ruban d’argile chaud et fumant – une brique infinie, un churro géant. »

Pour en savoir plus, vous disposez aussi d'un entretien avec Quentin Ravelli sur France Culture (24/10/2017)...



...ou d'un article sur Bastamag : De la bulle immobilière à l’expulsion de milliers d’habitants : le film Bricks raconte un système qui s’auto-détruit.

Le film de Ravelli fut présenté en mai 2017 dans le festival international du documentaire Documenta Madrid. À cette occasion, le site Cine Maldito lui consacra un aperçu.



jeudi 12 octobre 2017

Un peu de Fanon pour le 12 octobre

Mandaté par Isabel y Fernando (les Rois Catholiques : Isabelle I de Castille et Ferdinand II d'Aragon), à la tête d'une flottille de trois bâtiments, une caraque (la Santa María) et deux caravelles (la Pinta et la Niña, la Peinte et la Gamine), Christophe Colomb débarqua le 12 octobre 1492 sur l'île de Guanahani qu'il s'empressa de nommer San Salvador. Elle faisait partie d'un archipel que nous appelons aujourd'hui Bahamas, où habitaient des Taïnos et des Caraïbes que Colomb prit pour des Indiens, persuadé qu'il était de la rotondité de la Terre (1) et d'avoir découvert une nouvelle route des Indes.
C'était le début de l'empire colonial espagnol, bel exemple d'esprit de conquête et de réussite, œuvre de civilisation et d'évangélisation ayant eu recours aux massacres, à l'esclavage et à une considérable destruction physique, culturelle et linguistique du monde précolombien.
Il arrive qu'en 2017, le 12 octobre reste la fête nationale espagnole. Fête et Nationale. Ce qui me pousse à rappeler, pour l'occasion, deux citations antifana du martiniquais Frantz Fanon :

« Le régime colonial est un régime instauré par la violence. C’est toujours par la force que le régime colonial s’est implanté. C’est contre la volonté des peuples que d’autres peuples plus avancés dans les techniques de destruction ou numériquement plus puissants se sont imposés. Violence dans le comportement quotidien, violence à l’égard du passé qui est vidé de toute substance, violence vis-vis de l’avenir. »
L’An V de la révolution algérienne (1959)

« [La colonisation est] une négation systématisée de l’autre, une décision forcenée de refuser à l’autre tout attribut d’humanité. »
Les Damnés de la Terre (1961)

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(1) Ératosthène (Cyrène v. -276, Alexandrie, Égypte, v. -194) est le premier astronome dont la méthode de mesure de la circonférence de la Terre nous soit arrivée.