vendredi 22 février 2013

Marché, Croissance, Viande et autres Nourritures Terrestres

Le mot "marché" occupe incessamment l'espace médiatique, le con espace de la Com. Mais c'est un terme frelaté par la propagande que nourrissent sans désemparer les grands faux-monnayeurs qui nous pompent et leurs perroquets. Comme "liberté", "démocratie", "antisémite", "chrétien" (1), "bien-être", "connaissance" et tant d'autres expressions devenues formules, ayant atteint de nos jours un rapport oxymorique avec les vieux concepts qu'elles recouvraient (2), aberration accablante.
En vue de contribuer à déterrer un tant soit peu les vieux concepts ensevelis par cette logorrhée de grands mots en surenchère exponentielle, je vous propose une vidéo et un texte.
Le clip vous montre l'économiste breton Serge Latouche —à côté de Siné, soit dit en passant— s'exprimant à propos de décroissance, ou plutôt d'accroissance, pour être plus rigoureux :


Quant au texte, il s'agit d'un billet publié par Camille Labro dans son blog gastronomique hébergé par Le Monde ; attention notamment au dernier paragraphe et aux concepts qu'il invoque :

CAMILLE LABRO, 17 février 2013
Rêves (de raviolis) en boîte
 
Plus que cette histoire de cheval maquillé en bœuf, le vrai scandale "Findus", c'est tout le système qui a été exposé au grand jour : un circuit d'approvisionnement alimentaire totalement opaque et aberrant, organisé exclusivement autour de l'intérêt financier des industriels, sans considération pour le bien-être de l'individu (producteur ou consommateur), des animaux, et encore moins de l'environnement. Un système diabolique qui tue la petite agriculture, l'alimentation saine et la distribution raisonnable de la nourriture.
Cette affaire m'a remis en mémoire un documentaire que j'ai vu l'année dernière, au Kulinarisches Kino (la section du film culinaire de la Berlinale) : "Canned Dreams" de Katja Gauriloff, film finlandais magnifiquement sobre, qui devrait se dépêcher de sortir en France et ailleurs. Le film suit la trajectoire insensée des ingrédients d'une boite de raviolis (le blé, la viande, les tomates, les oeufs mais aussi le métal), aux quatre coins du monde et sur 30 000 kilomètres, tout en donnant voix à ceux qui produisent et fabriquent ces ingrédients. Histoires poignantes d'hommes et de femmes, atrocités de la production intensive, absurdités de la globalisation alimentaire... Tout y est.
 

On peut voir une bonne partie du film, sous-titrée en anglais, sur le site d'Al Jazeera, qui en est l'un des producteurs. Précipitez-vous si ce bijou sort un jour près de chez vous (on espère que les distributeurs saisiront l'opportunité au vol...)
Pour revenir à Findus, et à l'instar de Perico Légasse qui a bien résumé les choses sur le plateau de Mots Croisés, je me réjouis que ce système monstrueux et mensonger, à dimension européenne mais aussi mondiale, soit aujourd'hui "pris la main dans le sac" et livré en pâture à l'opinion publique. J'espère que toute personne qui a suivi le débat saura mettre cette crise à profit, en apprenant à consommer et manger plus "responsable" (il ne faut pas compter sur les agro-industriels pour arranger les choses, eux qui sont déjà en train de remettre les atroces farines animales à l'ordre du jour !).
Cela veut dire, avant tout chose, qu'il faut se remettre à cuisiner. Car qui dit cuisine dit produits bruts et frais, qui dit produits dit marché, qui dit marché dit relations directes avec les producteurs, qui dit relation dit connaissance, produit sourcé, traçabilité... Circuit court pour une alimentation juste.
Camille Labro
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(1) Cf. La Chronique de Philippe Meyer du 18.02.2013 (07h56, sur France Culture), et que le ciel vous tienne en joie !


(2) Marc Bloch écrivait dans Apologie pour l'histoire ou métier d'historien (Armand Colin, Paris, 1993, 1997, p. 57) : « (...) au grand désespoir des historiens, les hommes n'ont pas coutume, chaque fois qu'ils changent de mœurs, de changer de vocabulaire ». Complétons cette remarque et insistons sur l'usage filou de mots prestigieux aux qualités obnubilantes pour appeler, par exemple, la prédation du renard dans le poulailler * "liberté" —ou pour appeler un cheval un bœuf, le cas échéant. Au bout du compte, qui oserait s'exprimer contre la liberté ?

* La liberté peut consister, par exemple, à "payer moins de 1 euro l'heure de salaire". Voici un extrait de la lettre de Maurice "Morry" (Mucho Morry) Taylor Jr., PDG de Titan Wheele International, à Arnaud Montebourg, ministre français du Redressement Productif (sic), pour lui expliquer que Titan se retirait du projet de reprise de l'usine Goodyear de pneus située à Amiens-Nord :
"Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins de 1 euro l'heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin. Dans cinq ans, Michelin ne pourra plus produire de pneus en France. Vous pouvez garder les soi-disant ouvriers.". 
La lettre, datée le 8 février 2013, fut publiée par Les Échos le 19 février. Selon lui, les Français travaillent trois heures par jour (?) et touchent des salaires très élevés. Pas mal de la part d'un type qui déjà en 1996, lors des primaires du Parti Républicain, put dépenser plus de 6 millions de dollars... pour recevoir environ 1% des votes, bel exemple de sobriété tout comme de rentabilité pour celui qui se targue de savoir ce que c'est qu'une entreprise.
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NOTE du 24.02.2013 :
Le Monde a publié le 23.02.2013 un entretien avec Robyn O'Brien, autrice de The Unhealthy Truth, une investigation sur les dangers de la nourriture distribuée par l'industrie alimentaire étasunienne. Elle y dit, entre autres :
J'ai découvert qu'aux Etats-Unis, à partir de 1994, certaines modifications génétiques ont été réalisées dans la nourriture, modifications qui n'ont pas été acceptées en Europe. En utilisant mon approche d'analyste financière, j'ai cherché quelles décisions avaient été prises pour maximiser les rentabilités et ai découvert à quelles dérives cela a mené [:] Le rajout d'ingrédients et additifs chimiques, le dopage des animaux pour qu'ils prennent rapidement du poids, l'utilisation massive de pesticides... Tout cela détruit notre barrière digestive, garante de notre immunité. Aucun scientifique ne connaît vraiment les impacts de tels changements, mais nous sommes devenus plus vulnérables. Des estimations inquiétantes sont publiées : 41 % des Américains devraient avoir un cancer dans leur vie, la moitié des hommes et un tiers des femmes. Les maladies auto-immunes, liées à un état inflammatoire élevé du corps, augmentent. Nos systèmes immunitaires luttent énormément à cause de l'alimentation qui nous est proposée.
(...) Nous nous sommes déconnectés de nos racines, surtout aux Etats-Unis. Nous ne savons plus d'où vient la nourriture.

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