mercredi 12 décembre 2012

Roms, Sintés et Kalés en Europe, selon le rapport Billout

Un rapport d'information du sénateur Michel Billout dénonce la situation des Roms en Europe. Il a été dressé au nom de la commission des affaires européennes [nº 199 (2012-2013)] et publié le 6 décembre 2012. Son introduction signale :
« 10 à 12 millions de Roms vivraient aujourd'hui en Europe, dont environ 8 millions sur le territoire de l'Union européenne. Ils sont présents, bien qu'à des degrés divers, dans la grande majorité des États membres, sous l'effet des migrations qui sont intervenues au cours des derniers siècles, souvent dictées par les persécutions dont ils étaient victimes, et par des motifs économiques. Ces populations rencontrent aujourd'hui de graves difficultés d'intégration. Elles souffrent de discriminations multiples, qui procèdent bien souvent de l'anti-tsiganisme, lié à une profonde méconnaissance.
Le Conseil de l'Europe depuis les années 1970 et, plus récemment, l'Union européenne ont pris diverses initiatives afin de combattre les préjugés associés aux Roms et faciliter leur intégration en Europe. Mais c'est surtout après les évènements de l'été 2010 en France que le défi posé par les Roms est devenu un véritable sujet d'actualité européen, comme en témoigne la publication par la Commission en avril 2011 d'un cadre de l'Union pour les stratégies nationales d'intégration des Roms.
Il est temps aujourd'hui de passer à la vitesse supérieure. En dépit des initiatives existantes, la situation des populations roms n'a pas connu d'amélioration notable jusqu'à présent. Il convient aujourd'hui de mieux définir les responsabilités qui incombent à chacun des échelons - européen, national et local - afin de relever le défi de l'intégration des Roms sur un continent qui a fondé ses valeurs sur la démocratie, les droits de l'homme et l'État de droit. Quand on rapporte la population rom (8 millions) à la population de l'Union européenne (503 millions), la tâche ne paraît pas insurmontable, à condition de s'y atteler véritablement et de faire enfin tomber la barrière des préjugés. »
Dans I A-1 (1. Quelques repères historiques et géographiques), on peut lire :
(...) contrairement à des idées reçues, les populations roms ne sont pas nomades mais ancrées à des territoires nationaux.
Ainsi selon Henriette Asséo3(*) : « Quatre-vingts pour cent des Tsiganes européens n'ont pas bougé de leurs pays respectifs depuis deux ou trois siècles. A l'Est, et dans l'empire austro-hongrois, il n'y avait pas de nomadisme. S'il y en avait eu, vous n'auriez pas de communautés qui constituent 8 à 10 % des populations nationales. Cette histoire de nomadisme n'a aucun sens. »
En effet le nomadisme, n'a jamais été une spécificité rom. Ce sont les persécutions, les mesures d'expulsions, les grandes déportations et, de nos jours, les reconduites à la frontière qui ont obligé les Roms à sans cesse se déplacer.
Le voyage procède pour eux plus de la mobilité que du nomadisme ; il permet de s'adapter aux conditions d'emploi, comme les travaux saisonniers qui assurent leur survie. C'est aussi une manière de rassembler les familles à l'occasion d'un événement important de leur vie. Une minorité de Roms européens a choisi un mode de vie itinérant ; la majorité d'entre eux sont sédentarisés.
Si le rapport Billout vous intéresse, cliquez ci-dessous sur le lien de votre choix :

Rapport

Illustration : couverture de rapport

lundi 3 décembre 2012

Fukushima - Pétition de Tokiko Noguchi

Juste deux semaines après votre débat autour de l'énergie nucléaire, je reçois dans mon courriel cette pétition de Tokiko Noguchi qui en dit long sur la situation du département de Fukushima après la catastrophe du 11 mars 2011 :

Préfecture de Fukushima: Ne nous volez pas le choix de nous réfugier à l’extérieur du département !

Pétition de 野口時子 Tokiko Noguchi (3a 郡山)

Fukushima, Japon

Nous habitons à Fukushima. Nous avons une fille, collégienne et un fils handicapé. Ma fille entre au lycée cette année, et nous nous demandions si ça n’était pas l’occasion de déménager à l’extérieur du département pour protéger nos enfants de l’irradiation. Mais brutalement, la préfecture de Fukushima a déclaré publiquement que les appartements gratuits réquisitionnés pour les personnes souhaitant se réfugier à l’extérieur du département, n’accepteraient plus de nouvelles demandes à partir du 28 décembre 2012.
Le jour où cette décision a été rendue publique, j’ai reçu les résultats de l’échographie de la thyroïde de mon fils : A2. Les résultats étaient terribles. « Nous nous étions pourtant réfugiés le 15 mars, et nous sommes partis un mois en séjour de villégiature l’été… » (1)
De nombreux pères et mères de Fukushima vivent soucieux et se demandent s’ils doivent, afin de protéger leurs enfants, s’éloigner de leur pays natal et s’inquiètent de savoir où ils doivent déménager ? Dans le cas où ils prennent la décision de déménager hors de la préfecture de Fukushima, parce que cela est nécessaire, le fait de pouvoir avoir accès à des logements réquisitionnés (et mis à disposition gratuitement) est une aide vitale.
Le règlement concernant les logements réquisitionnés qui se trouve originellement dans la loi de protection en cas de désastre a été appliqué durant 5 années lors du tremblement de terre d’Osaka. Refuser le dépôt de nouvelles demandes d’habitation de ces logements alors que deux années ne se sont pas encore écoulées après la catastrophe est inadmissible. De plus, cette fois, la population encourt des dommages sanitaires dus à l’irradiation. Il est manifeste qu’une assistance sur un terme plus long est nécessaire.
Selon l’enquête d’opinion réalisée dans la ville de Fukushima au mois de mai, plus de 90% des citoyens ont répondu être en état de « grande inquiétude » ou « d’inquiétude moyenne » quant aux effets de la contamination interne et externe de leur famille. 34% des personnes interrogées, et 45% des ménages ayant en leur sein des nourrissons et des enfants du primaire ont répondu qu’ils « souhaitent se réfugier » (2)
De nombreuses familles, tout comme la nôtre, attendent que leur enfant ait fini leur cycle scolaire, recherche l’endroit adéquat permettant l’accueil de leur enfant handicapé, en somme choisissent le bon moment pour déménager. C’est parce que de nombreuses familles étaient dans l’expectative de la fin de l’année scolaire de leur enfant, ou dans l’attente de pouvoir rassembler les conditions d’un environnement pédagogique adapté qu’encore au mois de mars de cette année, les refuges à l’extérieur du département furent nombreux (l’année scolaire commence en avril au Japon). Nous avons toutes raisons de croire que le nombre de famille qui pensait déménager au mois de mars prochain était également considérable.
La préfecture a décidé de cesser l’acceptation de nouvelles demandes d’occupation de logements réquisitionnés en décembre de cette année, mais les réfugiés demandent l’abrogation de cet arrêt. (4)
Si nous recevons l’assistance de tous, nous pourrons rendre possible la révision de cette décision.
Nous vous remercions.

Documents de référence :
1 - Nodules en deça de 5.0mm et Kyste en deça de 20 mm
2 - http://www.city.fukushima.fukushima.jp/soshiki/7/kouchou12090501.html


3 - http://mainichi.jp/select/news/20121124k0000m040081000c.html
4 - http://www.yomiuri.co.jp/e-japan/yamagata/news/20121107-OYT8T01431.htm
5 - 
http://www.pref.fukushima.jp/imu/kenkoukanri/241118koujyousen.pdf 

Signer la pétition

Le 12 octobre 2012, la compagnie d'électricité Tepco, qui opère la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, a admis pour la première fois qu'elle avait minimisé le risque de tsunami "par peur d'être contrainte à fermer ses installations le temps d'en améliorer la sécurité.", selon PresseOcéan.fr, où l'on peut aussi lire :
"Il existait une peur latente d'une fermeture jusqu'à ce que des mesures draconiennes de sécurité soient mises en place", indique Tokyo Electric Power (Tepco) dans un rapport-confession intitulé "Politique fondamentale pour la réforme du dispositif nucléaire de Tepco", plus d'un an et demi après l'accident.
Ce rapport de 32 pages indique qu'avant même le tsunami géant de mars 2011 qui a submergé la centrale, la compagnie savait que les systèmes de défense et de protection étaient insuffisants. Elle n'avait toutefois pas agi, probablement par peur des coûts que cela allait représenter.
"Il y avait cette inquiétude que si de nouvelles et sévères mesures étaient imposées, la sécurité de toutes les centrales existantes serait devenu un sujet de préoccupation", et aurait pu "donner plus de vigueur au mouvement antinucléaire", lit-on encore.
Dans Le Monde diplomatique de décembre 2012, Agnès Sinaï vient de publier un long article bien éloquent sur l'Agence internationale de l'Énergie Atomique (AIEA) dont le titre est déjà très expressif : "Un gendarme du nucléaire bien peu indépendant". Sa conclusion est claire :
« Verrouillée par la doctrine officielle, l’information sur les risques liés au nucléaire est systématiquement brouillée. Et les responsables des catastrophes atomiques demeurent impunis. »
Pensons d'ailleurs que l'AIEA, qui siège à Vienne, a deux grandes fonctions comportant un conflit de passions trop évident, une simultanéité plutôt louche : la surveillance et la promotion du nucléaire. Mine de rien, elle tiendra sa conférence ministérielle du 15 au 17 décembre justement à Fukushima.

vendredi 30 novembre 2012

Lancement de France Culture Plus

France Culture vient de lancer, lundi, un webcampus : son site France Culture Plus, sa nouvelle plateforme étudiante. La radio publique française nous explique dans ce web :
France Culture Plus, le webmédia étudiant de France Culture vous donne accès à des cours et des conférences issus des universités et des grandes écoles, mais aussi à la Factory, un ensemble de productions multimédias inédites réalisées spécialement pour France Culture Plus.
Il s'agit donc d'une collaboration de France Culture avec des universités, de grandes écoles et le réseau Radio Campus. Vous aurez accès à une sélection des podcasts de France Culture et à des contenus exclusifs.
Aujourd'hui, vous avez au menu, évidemment, une information sur ce nouveau service...
30 Novembre 2012

LES ÉTUDIANTS ONT ENFIN LEUR WEBMÉDIA !

Webmedia toutes disciplines, 50 ans d'expérience, propose : cours et conférences multimédia Universités et Grandes écoles, best of France Culture et Radio Campus France, programmes exclusifs vie étudiante. Gratuit, 24h/24h, nombre de places illimité, cancres acceptés.


voir la suite

On vous propose également un dossier thématique par semaine "construit autour d'un fil rouge, dans lequel sont présentés plusieurs médias provenant de différentes universités ou institutions". Cette semaine, par exemple, la vie, déclinée en trois temps : la genèse, la destruction et l'exploration.

Palestine, État observateur non membre permanent aux NU

La Palestine est devenue hier un Etat observateur non membre permanent aux Nations unies, lors d'un vote à l'Assemblée générale de l'ONU.
Voici l'évolution du territoire palestinien depuis 1946 :

Source : Publico.es

Voici la carte de la Palestine en 1948, l'année de la Nakba :


Hervé Le Tellier a écrit aujourd'hui dans son billet quotidien pour le journal Le Monde :


papier de verre

Hervé Le Tellier



La Palestine devient un Etat observateur à l'ONU. Le statut exact est celui d'Etat non membre. A la décharge de l'ONU, il faut dire que celui d'Etat démembré n'existe pas.


NOTE POSTÉRIEURE (30/07/2014) :

Utilisons, avec Ilan Pappé, le vrai langage.

vendredi 23 novembre 2012

Les vraies dérives de l'assistanat

Un livre très récent, publié le 8 novembre en France par Éditions La Découverte, aborde les dessous honteux d'une rengaine dont les libéraux nous matraquent à longueur de journée : « les dérives de l'assistanat », alibi très cynique conçu pour stigmatiser les ayants droit et couper les prestations aux plus pauvres —et, ajouté-je, grand tour d'illusionnisme destiné à escamoter le vrai grand assistanat, celui qui transfère des sommes faramineuses d'argent public, par le truchement de subventions directes ou de subsides et boucliers fiscaux, à ceux qui jouent dans la cour des très grands, en général des soi-disant non-interventionnistes contrôlant toutes les ficelles de l'État.
Il s'agit de « L’Envers de la "fraude sociale". Le scandale du non-recours aux droits sociaux », travail du Groupe Odenore (Observatoire DEs NOn-REcours aux droits et services ; structure universitaire rattachée à un laboratoire du CNRS) qui prouve entre autres, en se basant sur les statistiques du ministère du Travail et de la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf), que "les sommes qui ne sont pas versées à ceux qui y ont droit sont trois fois supérieures à celles qui sont indûment perçues". Cela est dû, comme le rappelle Martine Gilson dans le Nouvel Observateur du 8 au 14 novembre 2012 (page 14 de l'édition internationale), au fait que "les intéressés, pour la plupart illettrés, ne connaissent pas les arcanes de la loi et leurs droits"...
"Ainsi, 5,7 milliards d'euros n'ont pas été versés, l'an passé, à des Français qui pourraient bénéficier du RSA. Un autre exemple ? Près de 2 milliards d'euros d'allocations chômage non attribués chaque mois à des demandeurs d'emploi qui, faute d'informations, ne sont pas inscrits à Pôle Emploi. Où vont ces milliards d'euros ? Pourquoi, à l'exception des mairies de Paris, Rennes, Nantes ou Versailles, les organismes de contrôle des fraudes n'usent-ils pas de la même vigilance pour repérer et corriger ces situations aberrantes ?"
Le site de La Découverte explique à propos de cette étude :
"Le discours sur la « fraude sociale » a marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Prétextant sauver la protection sociale des assistés et des tricheurs, ce discours a répandu l'idée que les droits économiques et sociaux se méritent et a inoculé une suspicion à l'encontre de leurs bénéficiaires légitimes. En martelant l'idée que le système est « fraudogène », il a prétendu que les droits ne sont pas une obligation et que les prélèvements les finançant ne sont pas un devoir, à l'inverse des principes qui fondent le modèle social français.
Or, pour être juste et acceptable, la lutte contre la fraude doit éviter l'amalgame et la division, et participer à une politique générale d'accès aux droits sociaux. Car si la fraude à l'ensemble des prestations sociales est estimée à 4 milliards d'euros par an, son envers, à savoir le « non-recours »à ces aides de la part des très nombreuses personnes qui y ont droit, est bien supérieur. Ainsi, chaque année, 5,7 milliards d'euros de revenu de solidarité active, 700 millions d'euros de couverture maladie universelle complémentaire, 378 millions d'euros d'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, etc., ne sont pas versés à leurs destinataires. C'est ce que démontre et interroge cet ouvrage, exemples, faits et chiffres à l'appui.
Pour le collectif d'auteurs réuni ici, le nouveau gouvernement doit s'occuper prioritairement du phénomène du non-recours, car ce qui n'est pas dépensé n'est en rien une économie. Cela signifie au contraire l'appauvrissement de bon nombre de ménages et la destruction de recettes pour la collectivité."
Cliquez ici pour accéder à sa table des matières. Et là pour en lire l'introduction.

Des chiffres du non-recours, selon le Groupe Odenore.

En revanche, ce sont les grandes entreprises et les grandes fortunes qui jouissent d'un assistanat tous azimuts dans le système libéral du Grand Capitalisme protégé et dorloté par l'État (1). À cet égard, dans un article d'Ashley Portero intitulé “30 Major U.S. Corporations Paid More to Lobby Congress Than Income Taxes, 2008-2010”, publié par International Business Times, le 9 décembre 2011, nous apprenions que Public Company venait de faire paraître un nouveau rapport analysant les comptes de 30 grandes entreprises des États-Unis, dont 29 n'avaient pas payé d'impôts de 2008 à 2010 (la 30e, FedEx, y avait consacré moins de 1% de ses profits) ; loin de là, elles touchaient des remboursements du Trésor public allant parfois jusqu'à 50% de leurs bénéfices (Pepco Holdings -58%, General Electric -45%). Plus concrètement, elles totalisaient un gain de 164 milliards de dollars entre 2008 et 2010, ce qui les habilitait, aux yeux de leurs amis de l'administration, à encaisser encore 11 milliards de dollars en concept de réductions d'impôts sur la même période —alors que leur taux d'imposition théorique était de 35%. Ah, l'optimisation fiscale...
Voici un extrait de l'article d'A. Portero :
29 Major Corporations Paid No Federal Taxes, 2008-2010
Of the 30 companies analyzed in the report, which include corporate giants such as General Electric, Verizon Communications, Wells Fargo (WFC), Mattel (MAT) and Boeing (BA), 29 of them managed to pay no federal taxes from 2008 to 2010. Only FedEx, which raked in about $4.2 billion in profits during that period, paid a three-year tax rate of 1 percent -- totaling $37 million -- far less than the statutory federal corporate tax rate of 35 percent.
The Public Campaign report expanded on a newly released analysis on corporate tax dodging by the liberal-leaning Citizens for Tax Justice, a non-profit research and advocacy group, as well as lobbying expenditure data provided by the non-partisan Center for Responsive Politics.
Citizens for Tax Justice, the sister organization to the Institute on Taxation and Economic Policy, reports that 68 of the 265 most consistently profitable Fortune 500 companies did not pay a state corporate income tax during at least one year between 2008 and 2010, while 20 of them paid no taxes at all during that period.
Lorsque la taxation de leurs plus-values est presque toujours négative, voire très négative, il n'est pas étonnant que ces sociétés déboursent beaucoup plus à faire pression sur le Congrès qu'elles ne payent d'impôts. Disons que le coût de leur lobbying atteint la coquette quantité de 400 000 dollars par jour. Mais on a droit à lire les événements à l'envers : les sommes dépensées à faire de la pression auprès des politiciens et des législateurs sont un investissement qui rapporte gros. Donc, si les cadeaux défiscalisent, voire rendent des revenus substantiels, on peut affirmer que la corruption est le noyau légal du système.
Il faut préciser, pour conclure, que le montant du lobbying est malgré tout inférieur pour ces boîtes à celui de la rémunération de leurs gérants (2).

Si vous souhaitez connaître en détail le rapport de Public Campaign (en pdf), cliquez sur le lien ci-contre. Je colle ensuite son premier tableau, vu son degré d'éloquence :


(1) Drôle d'oxymore, mais je n'y suis pour rien : la farce sémantique est l'un des fondements du système.

(2) Noam Chomsky a prononcé une conférence le 7 avril 2011 à l'Université de Toronto intitulée "L'État et les Grandes Sociétés. Une alliance contre la liberté et la survie". Il y rappelait justement que General Electric avait flambé plus de 84 millions de dollars en "lobbying", n'avait pas payé d'impôts en 3 ans (de 2008 à 2010), avait été remboursé par l'État à hauteur de presque 5 milliards de dollars, avait obtenu 10 milliards de dollars de profits "en pleine crise" et avait augmenté  de 27% en moyenne les salaires de ses dirigeants. En même temps, l'entreprise avait renvoyé plus de 4.000 employés (depuis 2008).
Il est pertinent de savoir que GE a fortement soutenu les campagnes politiques du président Barack Obama qui l'a très bien récompensée ; le 21 janvier 2011, il a même nommé le PDG de GE, Jeffrey Immelt, président du Council on Jobs and Competitiveness, le Conseil pour l'Emploi et la Compétitivité, où il a succédé à Paul Volcker. Il faut avouer qu'Immelt est un expert en la matière car, en tant que chef des opérations du conglomérat GE depuis 2001, il a viré 21 000 travailleurs et fermé 20 usines en tout. Sa nouvelle fonction ne l'a pas empêché de conserver son poste chez GE, pour lequel il a touché plus de 15 millions de dollars en 2010 et où il continue à sévir (délocaliser) sans états d'âme. Conflit d’intérêt, dites-vous ? Draghi et Goldman Sachs, Cheney et Halliburton, etc, etc. etc. etc. Tout le monde sait que c'est la norme systémique. Le cynisme censitaire ne se gêne pas —"censitaire", si j'ose dire, car le suffrage censitaire limitait le droit de vote à ceux qui payaient suffisamment d’impôts directs pour être considérés comme des citoyens actifs, alors que de nos jours, les vrais grands décideurs sont justement ceux-là mêmes qui savent très bien comment évader des capitaux et s'affranchir des prélèvements obligatoires et des contributions directes tout en raflant une belle partie des recettes publiques. Autrement dit, une application stricte du principe No representation without taxation priverait du droit de vote bon nombre des plus argentés. Tout comme une reprise de la vieille devise des colons de l'Amérique du Nord britannique No taxation without representation —moteur de la Révolution étasunienne—, ajoutée à la conviction que no, que no, que no nos representan, risquerait d'inciter grand nombre des contribuables actuels à une grève des impôts.

Eh ben, dans sa conférence de Toronto, Chomsky expliquait que les réductions d'impôts étaient soigneusement conçues pour bénéficier aux multimilliardaires, sans compter les paradis fiscaux et les autres modalités d'évasion. C'est une redistribution en amont qui a même son nom, la "technique de la tombée du jour", la "Sunset technique" (Cf. Alan J. Auerbach : "Red Sails in the Sunset", article publié dans The Magazine of International Economy Policy en automne 2003).
Voilà, les jours ne tombent jamais pour les abattements d'impôts des nababs ni pour leurs subsides directs ; la contrepartie sociale à tant de générosité, ce sont et les tailles budgétaires concernant les services publics et l'augmentation des contributions directes et indirectes pénalisant les classes moyennes et les plus démunis, mis en coupe réglée par les génies de la finance et de l'administration en collaboration serrée.

Pour aller plus loin, les lecteurs castillanophones disposent d'un bouquin réunissant celle-ci et d'autres conférences récentes de Noam Chomsky sous le titre "Ilusionistas" (Ediciones Irreverentes, traduction de Jorge Majfud, septembre 2012).
____________________________
NOTE du 2 septembre 2013 :

Cofondateur d'Odenore et directeur de recherche au CNRS, Philippe Warin a publié un article à ce propos au Monde diplomatique de juillet 2013 (page 28) sous le titre La face cachée de la fraude sociale. Il y soutient entre autres :
"(...) 5,7 milliards d'euros de revenu de solidarité active (RSA), 700 millions d'euros de couverture-maladie universelle complémentaire (CMU-C), 378 millions d'euros d'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, etc., ne sont pas versés à ceux qui devraient les toucher. Et l'addition est loin d'être complète...
Un scandale d'autant plus grand que ceux qui renoncent à leurs droits les financent néanmoins. Un exemple : dix millions de ménages démunis n'ont pas bénéficié des tarifs sociaux de l'énergie entre la date de leur mise en œuvre -2005 pour l'électricité, 2008 pour le gaz- et la fin 2011, ce qui représente 767 millions d'euros de manque à percevoir ; ils ont pourtant abondé à cette somme en payant au prix fort l'électricité et le gaz...
Cette situation n'est en rien particulière à la France. On ne peut, par conséquent, l'imputer à une générosité incontrôlée de son système de protection sociale. Une étude de 2004 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a estimé que le taux moyen de non-recours aux aides ou aux programmes sociaux oscillait entre 20 et 40% selon les pays."
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MISE À JOUR du 8 septembre 2017 :

Extrait de L'Optimisme contre le désespoir, entretiens de Noam Chomsky avec C.J. Polychroniou.
Image tirée de @vivelefeu (de Sébastien Fontenelle), sous l'exergue "Les (vrais) assistés" :

dimanche 28 octobre 2012

Le Trésor de la langue française, en ligne

Le Trésor de la langue française —dictionnaire rédigé par cent chercheurs de 1962 à 1994, en 16 volumes et un supplément, et publié en version imprimée entre 1971 et 1994, date de parution du dernier tome— vient d'être mis en ligne sur le site d'Analyse et Traitement informatique de la Langue française (ATILF), en partenariat avec le CNRS et l'Université de Lorraine.
Pour vos consultations, gratuites, vous pouvez...

    taper le mot exactement (ex. éléphant) ou phonétiquement (ex. éléfan)
    omettre les accents (ex. elephant, elefan).
    omettre les tirets des mots composés (ex. porte monnaie, portemonnaie).
    taper des mots fléchis (ex. écriront, généraux, végétales)


Exemple d'entrée :

PÉTONCLE, subst. masc.
ZOOL. Mollusque lamellibranche comestible à coquille bivalve arrondie, vivant dans la Manche et l'océan Atlantique. Ce sont surtout les coquilles Saint-Jacques et de nombreuses espèces de petits coquillages: coques, praires, pétoncles, palourdes, oursins, etc., qui sont pêchées sur des gisements naturels. Tous ces mollusques, sauf les coquilles Saint-Jacques, font surtout l'objet de commerce d'ordre local (BOYER, Pêches mar., 1967, p.79). V. pinne ex.
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1415 poitoncle (Archives hist. de la Saintonge et de l'Aunis 32 (1902) ds P. RÉZEAU, Sources du vocab. poitevin-saintongeais, colloque de Nantes, 16-18 févr. 1984); 1551 petoncle (COTEREAU, tr. Columelle, VIII, 16 ds HUG.). Empr. au lat. pectunculus, dimin. de pecten «peigne, peigne de mer» (pecten*).


C'est notre "zamburiña".

mardi 23 octobre 2012

Terres communes : la vie, la rue, la mort

Hiver, printemps, été, automne... La vie, la rue, la mort...

"Terres Communes est un web-documentaire consacré à un mouvement de solidarité singulier. À Marseille et à Paris, des citoyens, regroupés en collectifs, accompagnent des gens de la rue jusque dans la mort."

Le documentariste et journaliste Emmanuel Vigier a suivi dans la rue, pendant plus d'un an, des bénévoles du collectif Terres communes. Selon l'information que je viens de lire sur Le Monde, ils organisent même...
(...) des hommages aux défunts afin de leur conserver un nom et une dignité. Sensible et engagé, cet objet multimédia allie vidéos, photos, textes et sons. Mis en ligne depuis lundi, le projet a fédéré de nombreux soutiens, y compris de contributeurs privés, à travers une souscription sur le site KissKissBankBank.
"Terres communes est un documentaire conçu pour le Web, forme qui est, selon moi, la plus adaptée au contenu et à ma démarche : rendre visible l'invisible, faire mémoire, faire lien", explique Emmanuel Vigier. "Cette forme permet en effet d'approcher de plus près et de façon plus sensible - pour l'auteur tout comme pour le spectateur internaute - la démarche de ces hommes et de ces femmes. Des éléments apparaissent, disparaissent.... Autant de fragments choisis qui révèlent ces liens possibles entre ceux qui aident et ceux qui sont dans la rue, entre des vivants et des morts." Une diffusion sous d'autres formes que sur Internet est envisagée : des projections en salles de cinéma aujourd'hui, et par la suite une installation et une exposition photo.
C'est une co-production ZINC - LES FILMS DU TAMBOUR DE SOIE.

jeudi 18 octobre 2012

ALCINE42 et ses courts métrages en français

Le lundi 12 novembre (ou le jeudi 15, pour les élèves du matin), nous nous déplaçons à Alcalá pour notre rendez-vous annuel avec ALCINE, le Festival de Cine de Alcalá de Henares, qui nous invite à voir les courts métrages francophones de sa section "Idiomas en corto". Au programme, cinq films qu'on envisage de projeter en deux séances. La séance matinale commencera à 11h30 et celle du soir, celle qui nous concerne, aura lieu à 17h30 dans le TEATRO SALÓN CERVANTES, c/Cervantes s/n : veuillez lire une petite information à son égard, agrémentée de deux photos, en bas de cet article.

Voici le programme "Idiomas en corto" en français pour cette 42e édition du festival :

1. Carlitopolis, de Luis Nieto. France. 2005. 4 min. Animation.
Court métrage humoristique primé lors du festival CLAP89 de la MJC de Sens. C’est une performance où Luis Nieto joue avec sa souris Carlito et nous invite à réfléchir sur la vérité de l’image : qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux ?


2. Émilie Muller, troisième film d’Yvon Marciano. France. 1993. 21 min. Fiction.
Tourné aux Studios de Boulogne, le film raconte le bout d'essai d'une jeune comédienne, Émilie Muller.


3. La leçon de natation, de Danny de Vent. France. 2008. 9 min. Animation.
Jonas, cinq ans, s'apprête à suivre son premier cours de natation. Alors qu'il tente de fuir cet endroit qui l'effraye, il tombe dans le grand bain… Retenu par ses brassards, Jonas découvre la piscine, lieu chaotique peuplé d'étranges créatures ; il ne pourra compter que sur lui-même pour se tirer de ce mauvais plongeon.
Une expérience fondatrice, terrifiante et fantastique, menée en solitaire, comme tous les apprentissages. Extrait :


4. La lettre. Réalisation de Michel Gondry. France. 1998. 14 min. Fiction.
À l’aube de l’an 2000, le jeune Stéphane n’ose avouer son amour pour son amie Aurélie. Son seul refuge contre la timidité et les railleries de son grand frère Jérôme, la prendre en photo. Le jour où elle part en vacances, Aurélie confie une lettre à Stéphane…
La Lettre
est le premier court-métrage de Gondry mais en 1998, ce jeune vidéaste/musicien avait déjà réalisé plusieurs clips musicaux.
[NOTE POSTÉRIEURE : en 2014, il a sorti son film "Conversation animée avec Noam Chomsky"]



5. Irinka et Sandrinka. Réalisation de Sandrine Stoïanov. France. 2007. 17 min. Animation.
Synopsis : Sandrine et Irène, deux femmes d'origine russe, qui se connaissent à peine malgré leurs liens familiaux et qu'un demi-siècle sépare, échangent leurs souvenirs devant une tasse de thé et des liasses de photos anciennes.
Sandrine, jeune fille fantasque à qui, quand elle était petite, on disait qu'elle aurait pu être une princesse russe, que de surcroît elle en avait le physique et le caractère, a grandi en passant son temps à recomposer dans ses jeux d'enfant le monde d'une Russie de conte de fées, à se réfugier dans un passé imaginaire afin de s'évader d'une situation familiale morcelée dans laquelle elle n'arrivait pas à trouver ses repères. Aujourd'hui, toujours en quête de ses racines, elle interroge sa tante Irène sur son enfance. Celle-ci issue de la noblesse russe, a vécu sur place la chute du régime, un quotidien douloureux, marqué par l'absence d'un père exilé et le décès prématuré de sa mère, avant de pouvoir quitter sa famille d'adoption, qui ne l'aimait pas, et enfin rejoindre son père en France. Tandis que la vieille femme se confie et parle de son père, le grand-père de Sandrine, cette dernière part à nouveau dans les rêveries éveillées que lui évoquent les paroles de son aînée, et nous fait apparaître les personnages d'Irinka et de Sandrinka, projections imaginaires des fillettes qu'elles ont pu être. Cinergie.be a publié à propos de ce court métrage : 
En ouverture, une voix déclare : « Pour moi, mon père, c’était une photo. On me faisait embrasser une photo. » L’image animée concorde : une petite fille tient un portrait d’homme en noir et blanc. Voici Irinka/Irène : elle a les cheveux courts, une robe et une histoire qui commence dans les années 20 en Bessarabie, une partie de la Russie annexée par la Roumanie. Irinka est la grand-tante de la réalisatrice du film, Sandrinka/Sandrine, ayant grandi en France.
Sandrinka, désireuse de découvrir le passé et la culture de sa famille, apparaît croquée sous les traits d’un enfant portant des cheveux longs, un pantalon et un vécu plus récent. « Qu’est-ce que je pourrais te raconter sur mon enfance ? » dit Irinka, celle qui se livre à Sandrinka, celle qui recueille. L’entretien et le film peuvent commencer.
Autour d’une tasse de thé et d’un magnétophone, les souvenirs sont narrés, réajustés et commentés, et suivant les sujets abordés, les voix se révèlent timides, tristes, nostalgiques, crispées ou riantes. Du documentaire ? Non, du documentaire animé. L’image du film n’est en effet qu’illustration : dessins, collages, photos de famille, images d’archives. Une illustration tout en poésie murmurée à l’instar du moment où Sandrinka se met à jouer au piano : des danseurs slaves surgissent de la partition, tournoient au rythme de la musique avant de devenir des ombres et de disparaître tout doucement. (...)



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Teatro Salón Cervantes
Teatro Salón Cervantes
Calle Cervantes, Alcalá de Henares

Le Teatro Salón Cervantes fut bâti en 1888 et a connu dès lors deux rénovations, en 1925 et en 1989, celle-ci après son acquisition par la Communauté de Madrid. Il dispose d'un orchestre rectangulaire aménageable en salon, deux étages de loges, une scène à l'italienne et une façade Art Nouveau.

 

dimanche 14 octobre 2012

Douce(s) France(s), ou les régions hexagonales selon ARTE

Grâce à Paloma A., j'ai eu vent d'une série de documentaires, coproduits par ARTE G.E.I.E. et Gedeon Programmes, sur une partie assez représentative des régions de l'Hexagone : Douces Frances.
Réalisés par Xavier Lefebvre et conçus par Laurent Martein, ces films durent 43 minutes et ont été émis du 16 au 27 janvier 2012, du lundi au vendredi à 19h00.
Ces épisodes, au nombre de dix*, proposent des images et des rencontres au travers de trois types de portrait que la chaîne franco-allemande expliquait comme cela lors de la présentation de la série :
Les portraits aériens permettront d’observer et d’admirer la diversité paysagère de chacune des régions traversées, d’en saisir l’organisation spatiale et de découvrir de manière privilégiée ses plus grands sites naturels et patrimoniaux…

Les portraits terrestres s’attacheront à fouiller visuellement et esthétiquement les grandes identités territoriales, à documenter « à hauteur d’homme » tout ce qui participe à créer l’enchantement pour chaque région : trésors de nature, d’architecture, de culture(s)...

Les portraits d'hommes et de femmes, habitants de ces régions, garants de leurs traditions, de leur mentalité. Rencontrés chez eux, dans leur environnement, ils raconteront leur quotidien, l’exercice de leur profession, de leur passion,... qu’ils soient éleveurs, viticulteurs, conteurs, guides, médecins...
Voici l'introduction au documentaire de chaque région fournie par le site d'ARTE :
En Provence
A la découverte des mille et une facettes d’une région gorgée de soleil et de couleurs, aux paysages spectaculaires et somptueux.
En Rhônes-Alpes
Entre plaines et montagnes, la région dévoile des chefs d'oeuvres, tant naturels qu'architecturaux. Une étape aussi riche en rencontres qu'en dénivelés !
En Midi-Pyrénées
Adossée aux Pyrénées, entre Atlantique et Méditerranée, c'est la plus vaste région de la métropole. C'est aussi le coeur du pays occitan.
En Auvergne
Balade verdoyante dans une région marquée par le volcanisme et aux richesses naturelles surprenantes.
En Aquitaine
Entre mer et montagne, une région riche en saveurs et en savoir-faire. Balade depuis le pays basque jusqu'aux vignobles de Sauternes.
En Bretagne
Bordée par les mers, balayée par les vents, c'est une terre de légendes et de traditions qui dévoile ses trésors.
En Région Centre
Un concentré de raffinement et de verdure, entre le Val de Loire des rois de France et le Berry enchanteur.
En Bourgogne
Réputée pour sa gastronomie et son art de vivre, la région est également riche en patrimoine architectural.
En Normandie
Depuis ses côtes - de Nâcre ou d'Albâtre - jusqu'à ses plaines de pommiers, la Normandie incarne la douceur de vivre.
En Alsace
Cap à l'Est ! A la frontière avec l'Allemagne et de la Suisse. Ici, les influences rhénanes sont partout : dans la langue, la cuisine, l'architecture...

Si vous souhaitez suivre tranquillement la série sur votre ordinateur, en volets de 15 minutes, vous pouvez le faire sur youtube. Je vous montre ci-dessous quelques portes d'accès aux vidéos insérées :
1. La Provence
2. Rhône-Alpes
3. Midi-Pyrénées
4. Auvergne
5. Aquitaine
6. Bretagne
7. Centre
8. Bourgogne
9. Normandie
10. Alsace
Exemple de mode d'emploi : si vous cliquez sur Bourgogne, vous accéderez à une vidéo de 15 minutes qui est le premier tiers de l'épisode. Pour continuer et visualiser l'intégralité du documentaire, il vous faudra chercher Douce(s) France(s) - Bourgogne (2/3) et Douce(s) France(s) - Bourgogne (3/3).

Merci beaucoup Paloma pour le tuyau.

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* Les régions françaises sont au nombre de 27 : 22 en France métropolitaine (y compris la collectivité territoriale de Corse, qui n'a pas la dénomination de « région » mais en exerce les compétences) et 5 départements et régions d’outre-mer.
D'un point de vue administratif, la Normandie est divisée en deux (Haute et Basse-Normandie). D'ailleurs, la Provence est une région historique faisant partie aujourd'hui de la région P.A.C.A. (Provence-Alpes-Côte-d'Azur).

jeudi 11 octobre 2012

Voyage en Bourgogne et en Franche-Comté - Jours IV et V : Beaune et Dijon

Cinquième et dernier volet de cette histoire. Quant aux quatre précédents, vous pouvez cliquer ci-dessous :  
  1. Jour I : Vol et arrivée à Dijon.
  2. Jour I : Le soir à Dijon.
  3. Jour II : Vézelay et Auxerre.
  4. Jour III : Ronchamp et Besançon.
Toutes les superbes photos de Maite.

Dimanche 13 mai 2012

Matin à Dijon.
À partir de 11h, beaucoup de voyageurs choisirent de monter à la terrasse de la Tour de Philippe Le Bon, haute de 46 mètres. Son escalier à vis vous contraint de monter 316 marches. Le colimaçon se termine par une voûte d’ogives quadripartite et sous celle-ci, on peut voir les emblèmes de Philippe le Bon en frise sculptée : ce sont les briquets et les pierres à feu que l’on retrouve sur le collier de l’ordre de la Toison d’Or fondé en 1430.
La patiente montée aboutit à la plate-forme du sommet de la tour, une terrasse proposant un panorama sur les quatre points cardinaux où l’on déguste hôtels particuliers du XVIIe, bon nombre d’églises, une synagogue et le dense assemblage de ruelles et de toits, souvent vernissés, du vieux Dijon dont l’unité dérive notamment des matériaux qui se répètent : pierre de Bourgogne, tuiles plates brun-rouge et ardoises.

Vue vers l'Ouest depuis la Tour de Philippe Le Bon, sur St.-Jean (gothique flamboyant des XIVe et XV siècle), à gauche, et St.-Bénigne (gothique du XIIIe siècle), au fond.
Au premier plan, Cour de Flore (Palais des Ducs et des États de Bourgogne)
Place de la Libération, place centrale du centre historique de Dijon.

Hôtel de Vogüé, Dijon.

À 11h45, certains parmi nous avons visité le Musée des Beaux-Arts. Visite partielle et gratuite parce qu’il était en chantier : il éprouvait un grand réaménagement.

Ce jour-là, après une promenade autour du Palais de Justice et de la Cathédrale St.-Bénigne, je m'arrêtai Place Émile Zola pour manger en plein air, belle lumière.

Puis, l’après-midi, à 15h, déplacement à Beaune (Côte-d'Or, à 45 km au Sud-Ouest de Dijon), dont le nom a à voir avec Belen, ou Belenos, dieu gaulois. Les Romains remplacèrent son culte par celui d'Apollon, l'une des principales divinités grecques et le nom, aujourd'hui, d'un club très coté du Village gai de Montréal, semble-t-il.
Beaune est la capitale des vins de Bourgogne et l'on peut y déceler beaucoup de caves aux dénominations évocatrices. Nous avions rendez-vous à 16h00 au 4, Boulevard Maréchal Foch : l'Hôtel du Conseiller du Roy est le siège de la Maison Bouchard Aîné et Fils. Au programme, on nous avait proposé le "Parcours des 5 Sens", un petit circuit ludique et pédagogique sur l'intervention de nos cinq sens lors de la dégustation d'un cru.

 Les couleurs du vin.

Dans ce but, nous eûmes droit à cinq vins, deux blancs : un St.-Véran, un blanc très sec du Mâconnais, et un Beaune ; et trois rouges : un Fixin (un vin communal ; prononcez /fisɛ̃/), un premier cru (Nuits-Saint-Georges) et, bouquet final, un Charmes Chambertin Grand Cru du 2004.

Puis, visite à la hâte du centre-ville et de l’Hôtel-Dieu, qui est mondialement connu. Si elle est surtout célèbre pour ses hospices, la ville historique a également d'autres atouts : les remparts et bastions, les rues piétonnes, le musée du vin, les halles, le musée des Beaux Arts et plusieurs galeries, ou la collégiale Notre Dame.

Hôtel-Dieu, Beaune.

La visite de l'Hôtel Dieu se fait toute l'année. Une fois franchi l’entrée, l’on accède à la cour où l’on vérifie que les toits sont bel et bien recouverts de tuiles émaillées, multicolores, en terre cuite, qui dessinent des figures géométriques.
À son propos, le Guide du Routard donne une explication exacte et goguenarde :
« On doit cet hôtel-Dieu à Nicolas Rolin (1380-1462), homme de bien ; du moins en avait-il. Lorsqu’il créa l’hôpital, en 1443, Louis XI, toujours charitable, aurait dit : « Il a fait assez de pauvres dans sa vie pour pouvoir aujourd’hui les abriter ! » Ainsi naquit l’hôtel-Dieu, sur une architecture d’inspiration flamande, qui fonctionna sans interruption jusqu’en 1968. »
Ne loupez surtout pas les photos de Maite, y compris pour Le puits de Moïse (lire plus bas).

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Dernier soir à Dijon et dîner en grand groupe à L’Imprimerie, Place Darcy.
Le soir s'assombrissait grave autour de nous : un silence épais de résignation régnait dans les bars de Dijon : l’équipe locale était tenue en échec par le Toulouse qui l’envoyait presque en deuxième division. Un premier but dijonnais avait provoqué une explosion de joie et d’espoir, mais les Toulousains forcèrent finalement le match nul : 1-1. L’équipe historique d’Auxerre, quant à elle, était mathématiquement reléguée en deuxième division après sa défaite à Marseille, 3-0. Le groupe but du rouge, mais un Côtes du Rhône, un Guigal. Que les Bourguignons nous pardonnent.

Lundi 14 mai 2012

Matin et midi à Dijon : promenades variées...
Nombreux furent ceux qui s’en allèrent voir Le puits de Moïse, œuvre (1395-1405) de Claus Sluter pour Philippe le Hardi, c'est-à-dire, Philippe II de Bourgogne (1342-1404 ; le quatrième et dernier fils du roi Jean II de France, dit « Jean le Bon », et de Bonne de Luxembourg). Celui-ci avait fondé la chartreuse de Champmol aux portes de Dijon, à l’Ouest, près de la gare SNCF actuelle. L’idée était d’en faire la nécropole de sa famille. Vandalisé à plusieurs reprises, ce chef-d’œuvre de la sculpture bourguignonne fut restauré et rouvert au public en 2004. Il conserve les portraits de six prophètes de l'Ancien Testament.
Il y en eut aussi qui se rendirent au Musée de la Vie Bourguignonne.

Fini le matin, on se réunit de nouveau, rue Amiral Roussin, entre Vauban et Charrue, pour faire notre dernier repas de midi bourguignon tous ensemble. Puis...

15h45 : Départ en car depuis l’hôtel vers l’aéroport de Genève. En chemin...



18h45 : Arrivée à l’aéroport de Genève et enregistrement.
20h55 : Départ du vol de EasyJet Genève-Madrid (et arrivée à Madrid a 23h05).

À bord de l'avion, l'hôtesse de l'air qui nous accueillait eut un geste d'émerveillement : c'était Laura !, une ancienne élève de l'École qui avait participé rien de moins que trois fois à nos voyages ! Plus tard, elle profiterait de sa salutation de congé aux passagers, en trois langues, pour s'adresser à nous, élèves et profs, très chaleureusement et avec fierté... Les profs buvaient du petit-lait, bien entendu, n'en croyaient pas leurs oreilles et ne l'oublieront jamais, Laura. Gros gros bisous. On t'embrasse fort.

Merci Mª José et Elena pour les photos depuis la Tour de Philippe Le Bon.
Merci Maite pour toutes tes photos.

vendredi 5 octobre 2012

Traductions de "Désert" et "Onitsha", de Le Clézio



Saguiet el Hamra, hiver 1909-1910.

« Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient. Lentement ils sont descendus dans la vallée, en suivant la piste presque invisible. En tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par le voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche. C'étaient des silhouettes alourdies, encombrées par les lourds manteaux, et la peau de leurs bras et de leurs fronts semblait encore plus sombre dans les voiles d'indigo. (...)
Ils avaient marché ainsi pendant des mois, des années, peut-être. Ils avaient suivi les routes du ciel entre les vagues des dunes, les routes qui viennent du Draa, de Tamgrout, de l'Erg Iguidi, ou, plus au nord, la route des Aït Atta, des Gheris, de Tafilelt, qui rejoignent les grands ksours des contreforts de l'Atlas, ou bien la route sans fin qui s'enfonce jusqu'au cœur du désert, au-delà du Hank, vers la grande ville de Tombouctou. »
C'est ainsi que commence Désert, roman de J.M.G. Le Clézio (Nice, 1940) publié en 1980 par les Éditions Gallimard (Paris). Ángel Lucía* me pria d'en faire la traduction pour Debate (Madrid) et ma version sortit dans la rentrée 1991. C'est un texte qui raconte deux histoires bien différentes, mais reliées : l'une, fictive, celle de la toute jeune Lalla, dont les ancêtres étaient les hommes bleus du désert saharien ; l'autre, historique, narre posément la marche de la caravane du grand cheikh Ma el Aïnine, rebelle contre la colonisation. Après sa mort à Tiznit (1910), les gens du désert, regroupés autour de Moulay Sebaa, le Lion, seront finalement massacrés par l'armée coloniale française —par les quatre bataillons du colonel Mangin— à Agadir, sur la côte, à 170 km au Sud d'Essaouira.
Je me rappelle avoir écrit dans mon rapport, à l'époque, ce roman transcrit une étrange sensation de bien-être.
Puis, l'année suivante (1992), Debate édita ma traduction d'Onitsha (Gallimard, 1991). Cet ouvrage est, entre autres, une version romancée d'un chapitre de la biographie de J.M.G. Le Clézio, une reprise de sa découverte de l'Afrique et de son père, à 8 ans, dans un territoire colonisé cette fois-ci par l'empire britannique. L'auteur se projette sur le jeune héros du texte, Fintan Allen, embarqué pour Port-Harcourt afin de rejoindre Onitsha, dans le Sud du Nigeria, en 1948. Puis, Le Clézio s'occuperait de ce père anglais dans un récit autobiographique postérieur, L'Africain (2004).

Le Clézio reçut le prix Nobel de littérature en 2008 et ce fait disons aléatoire relança la réédition de ses livres dans certains pays, dont l'Espagne. C'est ainsi que Tusquets voulut republier mes deux traductions dans la collection Andanzas en décembre 2008. Elles sont désormais disponibles en format de poche —dans la collection Fábula depuis octobre 2010, dans le cas de Désert, et dès ce mois d'octobre en ce qui concerne Onitsha— et jouissent donc d'un nouveau cycle de vie. Vive le recyclage.

Ma vieille édition Folio, 1980


* Ma gratitude et mes amitiés, Ángel.

mercredi 3 octobre 2012

Django Reinhardt à la Cité de la Musique (Paris)

Django apparut, pour nous, musiciens, comme la perle rare,
comme le phénix exceptionnel, surgi du fond des âges,
dans toute sa pureté, en plein XXe siècle.
 
(André Ekyan cité par Charles Delaunay: Django, mon frère, Eric Losfeld, 1968).


J'attendrai Swing, 1939, avec Stéphane Grappelli.

Pour remémorer l'énorme guitariste Django Reinhardt lors du 60e anniversaire de sa mort, la Cité de la musique de Paris organise une exposition intitulée "Swing de Paris". Ce sera du samedi 6 octobre au 23 janvier 2013. 
À ce propos, on a créé un mini-site spécifique proposant plusieurs rubriques : infos pratiques, concerts et manifestations, un dossier*, 8 titres à écouter** en intégralité illustrant différentes étapes de la vie de Django, un dossier de presse ou un coin pour les enfants bientôt en ligne.
* 170 enregistrements retracent l'extraordinaire créativité musicale du célèbre guitariste. Une carte des lieux des concerts parisiens, un index des chanteurs avec lesquels il a collaboré ainsi que les interprètes du Quintette du Hot Club de France complètent cette discographie.
**  Musette et chanson (1928-1933), Jazz hot (1934-1939), Swing sous l'occupation (1940-1944), Rêves d' Amérique (1944-1950), Nuits de Saint-Germain-des-Prés (1951-1953).
Côté concerts, ils sont vraiment alléchants : Tony Gatlif (conception et mise en scène) et Didier Lockwood (direction musicale et violon) présenteront Django Drom, avec Biréli Lagrène, Stochelo Rosenberg, Norig, Karine Gonzalez, Hono Winterstein, Jean-Marie Ecay, Adrien Moignard, Sébastien Giniaux, Benoît Convert, Ghali Hadefi,David Gastine, Fiona Monbet, Florin Gugulica, Emy Dragoï, Diego Imbert ;  Taraf de Haïdouks et Koçani Orkestar composeront une irrésistible Band of Gypsies :


 ..., Angelo Debarre, Thomas Dutronc, Gipsy Unity, Rocky Gresset & Adrien Moignard ; James Carter’s Chassin’the Gipsy invite David Reinhardt ; et on prévoit d'autres merveilles du jazz manouche.

vendredi 28 septembre 2012

Médicaments et plats de lentilles ou le Triomphe de l'industrie pharmaceutique

L'industrie pharmaceutique est singulièrement, énormément lucrative. Il y en a qui ont déclaré...
« (...) l'industrie pharmaceutique est l'une des plus lucratives. Ni les banques ni le pétrole ni l'informatique ne font autant de profit. Cela devrait interpeller les Français ! Est-ce moral et éthique que l'industrie qui rapporte le plus soit une industrie de santé ? Moi je ne le crois pas ! »
C'est Philippe Even qui s'exprime de la sorte lors d'une entrevue accordée à allodocteurs.fr intitulée Médicaments dangereux : le Pr. Even répond aux critiques.

Ancien doyen de la faculté de médecine de Paris et président de l’Institut Necker, le docteur Philippe Even vient de publier, en collaboration avec Bernard Debré, un livre polémique et très salutaire : Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux, 
Éd. Cherche Midi, 912 p., 23,80 euros.


Il y est question des résultats de l'application du capitalisme pur et dur (1) à la recherche pharmaceutique, ses procédés et son "marché" : un pur et dur désastre prouvant, encore une fois, combien l'avidité peut nuire au savoir, à la recherche, au langage et à la santé de tous : 50% de médicaments inutiles, 20% de mal tolérés, 5% de « potentiellement très dangereux » ; transfert de 10 à 15 milliards d'euros du Trésor public aux caisses de l'industrie pharmaceutique "sans aucune amélioration de la santé des patients"... En voilà un, d'assistanat. Avec, en prime, son corollaire de la fièvre de l'ordonnance : les gardiens de la santé publique ont créé une population d'accros.
Le bilan que ce répertoire autorise à dresser est donc bien lourd : nous serions les otages de la cupidité des uns, du laisser-aller des autres et des routines empêchant bon nombre de professionnels de penser... et de lire. Car, selon Philippe Even, il faudrait...
« (...) apprendre aux médecins où s'informer, leur apprendre à avoir une lecture critique, à décoder les articles scientifiques d'autant qu'ils sont nombreux à être écrits par l'industrie pharmaceutique ou ses affidés. C'est un métier d'apprendre à lire ces articles. »
On dirait que la culture de la corruption et de la bêtise, du laxisme et de la démagogie (fouillis inextricable ?), dans tel ou tel domaine, est fonction du chiffre d'affaires qu'il produit. Comme me le rappelle mon ami F., médecin, ce n'est pas la première fois que l'industrie des médocs vend le diagnostic et le langage pour pouvoir ensuite vendre les médicaments ad hoc (2). Témoin, les anti-dépresseurs.
Enfin, profitons de la citation ci-dessus de Philippe Even, grand conseil à portée universelle : il faut savoir lire et il faut savoir vérifier qui est derrière telle ou telle production, ce qui n'est pas toujours facile. La compréhension de lecture ne va pas de soi, elle requiert une pratique, un apprentissage.

Revenons au Guide des 4000 médicaments... Si vous fouillez un tant soit peu sur le Web, on vous fera tomber sur d'autres informations récentes concernant ce vade-mecum et ses auteurs :

— Sous le titre Les tontons flingueurs des médicaments, Le Monde recueille certaines critiques à leur égard et nous rappelle que l'un, Even, est médecin et de gauche, et que l'autre, Debré, est chirurgien et de droite.
— Le site Allodocteurs propose plusieurs documents pour en savoir plus:
- Médicaments dangereux et inutiles : la réaction de Roselyne Bachelot
- Médicaments dangereux : la réaction de Bruno Toussaint (Prescrire)
- Médicaments : la moitié serait inutile, 13 septembre 2012.
- La liste des 58 médicaments jugés ''très dangereux'', 13 septembre 2012.
- Pr. Even : "Les médecins ignorent tout des médicaments", entretien du 27 septembre 2011.
- 77 médicaments sous surveillance rapprochée, dossier du 31 janvier 2011.
- Médicaments : de la recherche à la pharmacovigilance, dossier complet.
- Mediator : genèse d'un scandale sanitaire, reportage vidéo du 26 avril 2012.
— L'émission animé par Zemmour & Naulleau, sur Paris Première, a invité le docteur Even. Voici deux liens permettant d'écouter ses propos dans leur intégralité, ici et .
— Le Nouvel Observateur nº 2497, du 13 septembre 2012, dédie tout un dossier —documenté et effarant— à ce sujet comprenant un guide des médicaments utiles, inutiles ou dangereux ainsi qu'un entretien avec Philippe Even, menée par Anne Crignon et Céline Revel-Dumas, dont on peut lire l'intégralité sur bibliobs.com (cliquez sur le lien précédent).


Puis d'autres sites de l'Obs élargissent encore ces contenus ; je vous relaie ici un précis de pharmacologie inutile ou dangereuse édité par Matthieu Sicard et une infographie fournissant la liste noire des 58 médicaments dangereux.

Comme j'ai trouvé l'entretien de l'Obs très instructif, j'en extrais quelques fragments significatifs :

Sur les avancées majeures de l'industrie pharmaceutique :
Oui, cela a été vrai de 1950 à 1990. Elle a inventé, développé et commercialisé presque tous les grands médicaments qui ont changé notre vie. Les antibiotiques et les vaccins ont supprimé la mortalité infantile dans les pays occidentaux et d’un seul coup allongé notre médiane de vie de dix ans. Ensuite, les grands traitements des maladies d’après 50 ans —cancers, maladies cardiaques, maladies inflammatoires ou diabète— l’ont encore allongée de cinq ans. (...)
Mais, soudainement, la biologie s’est terriblement complexifiée. On n’étudie plus un organe mais ses cellules et ses dizaines de milliers de molécules. Les découvertes sont toujours plus nombreuses mais ponctuelles. On avance, mais pas à pas. C’est pourquoi les nouveaux médicaments n’ont, eux non plus, que des applications ponctuelles. Ainsi, ces vingt dernières années, pas un seul traitement de grande envergure, c’est-à-dire qui soit à la fois très actif et qui concerne un grand nombre de malades, n’a été découvert. L’industrie pharmaceutique n’a commercialisé qu’une vingtaine de molécules très efficaces, mais sur de petits créneaux comme certaines sous-variétés de cancers. Lentes et difficiles, les découvertes ne se font plus désormais que dans les laboratoires universitaires. L’industrie a décroché, elle a abandonné les recherches devenues trop complexes. Les petits marchés étant beaucoup plus étroits qu’autrefois, cela l’oblige, pour maintenir ses sacro-saints bénéfices, à vendre ses molécules à des prix nettement supérieurs aux prix d’autrefois ; parfois 100 000 euros par an et par malade.
Médicaments et affaires :
Le capitalisme est devenu essentiellement spéculatif, visant la rentabilité immédiate. Les managers des firmes ont exigé 20% de rendement par an, se condamnant à des politiques de court terme absolument antinomiques avec la découverte de nouveaux médicaments, qui demande au moins dix ans. Alors, pour gagner de plus en plus d’argent, l’industrie a tenté d’allonger la France entière en élargissant la définition des maladies. Nous sommes ainsi tous devenus des hypertendus, des diabétiques, des hypercholestérolémiques, des artériels, des ostéoporotiques et des fous en puissance. Les laboratoires, avec l’appui de nombreux spécialistes complices, ont multiplié les traitements préventifs donnés pendant dix à trente ans à des gens sains pour prévenir des pathologies qu’ils n’auront jamais. Un pactole dont le meilleur exemple est celui des statines, pour lutter contre le cholestérol [voir article de Marie Vaton, p. 58 de l'édition internationale de l'Obs]. Enfin, les firmes ont développé les « me too » : comme les brevets de leurs grandes molécules tombaient dans le domaine public et devenaient la proie des « génériqueurs », elles ont sorti tous les cinq ou six ans des quasi-copies relookés et « remarketées » de leurs anciennes molécules baptisées de « deuxième » ou « troisième » génération. (...) En effet, la totalité de ces « me too » n’ont pas le moindre intérêt. Mais avec l’impardonnable accord de l’État, on a accepté des prix et des remboursements égaux ou supérieurs à ceux des molécules originales. La copie de « la Joconde » plus chère que la Joconde elle-même ! Scandale d’État. Exemples : il y a 5 molécules pour traiter l’hypertension artérielle et 150 « me too ». Ce n’est pas tout : les firmes ont une politique de dénigrement des anciennes molécules car elles ne rapportent plus rien financièrement (3). [Et il évoque les exemples des antiashmatiques et des antidiabétiques oraux pour conclure :] « L’entreprise médicale menace la santé », écrivait déjà Ivan Illich, le grand critique de la société industrielle, en 1975.
Complicité de l'État :
Parce que, comme le disent l’ONU et les parlements américain et britannique, « l’industrie est une pieuvre infiltrant toutes les instances décisionnelles nationales et internationales, les gouvernements, les grandes administrations, les institutions, les sociétés savantes médicales et les médias ». Voilà pourquoi nos commissions d’évaluation tournent en rond, laissant passer des molécules inefficaces et dangereuses alors qu’elles savent que les essais cliniques réalisés par l’industrie sont biaisés, truqués, mensongers, masquant les dangers, amplifiant les effets positifs. Quant à la pharmacovigilance qui devrait permettre de suivre les médicaments pour repérer les accidents, il s’agit davantage d’une pharmacosomnolence, ce que le Mediator a bien illustré. Les accidents seraient-ils quand même repérés que le dossier tournerait indéfiniment entre les différentes commissions comme une boule dans un flipper.
Vraies dépenses de l'industrie pharmaceutique :
(...) 5% —seulement— pour la recherche, 15% pour le développement, 10% pour la fabrication, entièrement sous-traitée en Inde ou au Brésil. L’industrie de la santé est parmi les plus lucratives. Où est la morale ? Elle n’y parvient que par un marketing et un trafic d’influence pour lesquels elle n’investit pas moins de 45% de son chiffre d’affaires ! À Washington, 600 lobbystes s’affairent, presque autant à Bruxelles, plusieurs dizaines à l’Assemblée nationale à Paris. Elle tient aussi la presse professionnelle, et ce dans toutes les langues, par le biais des grandes agences telles Cégédim et Business Média —présente dans 80 pays et qui emploie 20 000 personnes.
— Je conseille également de lire ses propos à l'égard des essais pré-cliniques et cliniques dont les critères, procédés et recrutements s'avèrent vraiment gratinés.

Rapport experts-industrie (ou lorsque les experts font office de visiteurs médicaux) :
Dès 2002, Bernard Kouchner a imposé la déclaration des liens d'intérêts entre les experts et l’industrie pharmaceutique. Les décrets d’application ne sont parus qu’en 2007 et n’ont été que partiellement appliqués. Certains médecins se sont déclarés, d’autres pas. Le résultat: beaucoup plus de la moitié des experts de nos commissions ministérielles d’évaluation des médicaments sont très étroitement liés financièrement à l’industrie pharmaceutique. Au point que certains présidents des commissions de l’ancienne Afssaps [devenu Agence de sécurité du médicament ANSM en mai 2012, NDLR] étaient liés par dix à cinquante contrats avec l’industrie pharmaceutique. Il s’agit là de contrats personnels de consultance, leur accordant honoraires ou actions en bourse contre leur soutien actif et permanent. En France ces contrats vont de 10.000 à 500.000 euros et aux Etats-Unis de 500.000 à deux millions de dollars. La tentation est grande. Tous ces contrats ne représentent pour l’industrie mondiale qu’une dépense annuelle de quatre ou cinq cent millions de dollars, beaucoup moins d’un millième de son chiffre d’affaire. Les médecins se vendent pour un plat de lentilles.
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(1) ...du jeu production-consommation-gros profits-graves conséquences. La croissance capitaliste n'est pas qu'inutile : elle est surtout nuisible, car le productivisme est contre-productif, tout comme la surconsommation est crétinisante. Et la croissance sacrifie notamment les pays pauvres sur l'autel du marché et par-dessus le marché. Et puis, ils sont les dépotoirs de nos déchets les plus toxiques.
(2) À cet égard, le dossier du Nouvel Observateur nº 2497 cite un ouvrage dont le titre est toute une promesse. Il s'agit de Jörg Blech : Les Inventeurs de maladies (Actes Sud, 2003), où l'on rapporte, entre autres, que le « syndrome de Sissi » n'était qu'une stratégie de Wedopress, agence de relations publiques sous contrat avec un fabricant de psychotropes. Parmi les contempteurs français du trafic de la maladie, mon ami F. et l'Obs sont d'accord : il faut évoquer le directeur de la maison d'édition Les Empêcheurs de penser en rond, Philippe Pignarre, dont j'ignorais tout jusqu'ici. En 2003 il avait sorti Le Grand Secret de l'industrie pharmaceutique (cf. site de France Culture). Je dispose désormais de La sorcellerie capitaliste, Pratiques de désenvoûtement, l'ouvrage qu'il a publié en 2005 (La Découverte) avec Isabelle Stengers.
(3) Ce dénigrement de ce qui remplit bien ses fonctions, du moment qu'il ne rapporte plus rien, est l'une des marques permanentes du capitalisme prédateur, le grand champion du bâclage juteux et de l'obsolescence programmée (voir la vidéo ci-dessous). Quand l'Internationale prédatrice tient à stigmatiser quelqu'un ou quelque chose, elle les taxe de démodés ou de vieillots, sans autre forme de procès ou d'argument, et -comme on le voit bien- cela concerne même ses marchandises un peu âgées, éventuellement utiles, ce qui déborde les pertinentes analyses de Guy Debord à propos de La Société du Spectacle dans son ouvrage homonyme (1967), où l'on pouvait lire :
« L'imposture de la satisfaction doit se dénoncer elle-même en se remplaçant, en suivant le changement des produits et celui des conditions générales de la production. Ce qui a affirmé avec la plus parfaite impudence sa propre excellence définitive change pourtant, (...), et c'est le système seul qui doit continuer : Staline comme la marchandise démodée sont dénoncés par ceux-là mêmes qui les ont imposés. Chaque nouveau mensonge de la publicité est aussi l'aveu de son mensonge précédent. »

Prêt à jeter, Fabricados para no durar, Fabricats per no durar.
(co-production ARTE, TVE, Televisió Catalana)

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P.-S. - Pour ceux qui lisent en anglais, le 21 septembre, sous le titre The drugs don't work: a modern medical scandal, The Guardian a publié des extraits de Bad Pharma, un ouvrage du docteur Ben Goldacre qui est sur le point d'être édité par Fourth Estate et qui montre, lui aussi, à quel point on nous berne dans ce domaine.
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Info du 23.05.2013

Le Mediator, «un crime presque parfait», pour la pneumologue Irène Frachon

- Pour en lire plus, cliquez ci-contre.
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Mise à jour du 8 décembre 2015 :

Selon une étude du magazine 60 millions de consommateurs (novembre 2015)...

couverture du numéro 

...plus de la moitié des médicaments achetables sans ordonnance (contre grippe, rhume, toux, troubles digestifs) qu'ils ont étudiés sont inutiles ou présentent plus de risques que de bénéfices. Contre la toux, la plupart des drogues légales de la pharmacopée occidentale sont à éviter. D'autant que "Sachant qu’une toux grasse participe à la guérison du malade grâce à l’évacuation du mucus, il est préférable d’attendre qu’elle passe d’elle-même."
Leur hors-série de janvier-février 2016 publie une liste de médicaments dangereux.