dimanche 23 mai 2010

Monet et l'Abstraction

“J’ai toujours ressenti une attirance particulière pour
les productions tardives car elles constituent une sorte
de somme de l’œuvre de toute une vie. Chez les grands
artistes, cette phase voit la dissolution de structures
antérieures au profit de formes parfois visionnaires,
préfigurations de mouvements futurs comme le cubisme
dans le cas de Cézanne ou l’abstraction pour Monet.”
[Ernst Beyeler (1921-2010), Entretien avec Philippe Buettner, 2003]

Monet : Environs de Honfleur. Neige (1866-7)

Je viens de voir le côté Fundación Cajamadrid de l’exposition « Monet et l’abstraction », coorganisée en partenariat avec le musée Thyssen-Bornemisza de Madrid et le musée Marmottan Monet de Paris, qui en prendra le relais du 17 juin au 26 septembre. Cette expo ne reste à Madrid que jusqu'au 30 mai. Vous disposez donc encore d'une semaine pour essayer de ne pas la rater.
C'est une occasion exceptionnelle d'accéder à un peintre indépendant, en quête constante de sa voie : père nomenclator de l'Impressionisme, il mena suffisamment loin sa recherche au point de devenir une référence essentielle de l'abstraction de la seconde moitié du XX siècle.
Le parcours que nous propose la Fundación Cajamadrid nous le montre en train de peindre une saule et l'étang de son jardin d'eau de Giverny grâce à des photogrammes de Sacha Guitry, qui l'enregistra pour Ceux de chez nous (1915), son documentaire sur de grands artistes français comprenant Auguste Rodin, Edmond Rostand, Edgar Degas, Claude Monet, Sarah Bernhardt, maître Henri-Robert, Camille Saint-Saëns, Octave Mirbeau, Anatole France, le comédien Antoine, Auguste Renoir et Lucien Guitry.
Dans la même salle, il y a de superbes photos de ce jardin de Giverny et de son pont japonais prises par Henri Cartier-Bresson en 1954. Monet peignit bel et bien ce pont japonais et sa célèbre glycine 45 fois ! Cet assemblage de jardin et de hantise expérimentale peut suggérer un autre jardin laboratoire, sensu stricto extraordinaire, conçu, aménagé et souvent retransformé par le brésilien Roberto Burle Marx, artiste total et génial, dans son site de Barra de Guaratiba, au Sud de Rio de Janeiro, à partir de 1949. Ses petits lacs affichent entre autres des nénuphars à la structure géométrique, losangée, si ma mémoire ne m'abuse.

Autochromes : Étienne Clémentel, Claude Monet devant le pont à Giverny, c. 1920.
Étang et pont japonais de Giverny, c. 1900.

Cette présentation de Claude Monet (1840-1926) à Madrid nous invite à savourer ce rapport délicieux qu'entretint le peintre parisien avec un territoire extraordinaire : la vallée de la Seine et, au sens large, la Normandie (Rouen, Honfleur, Le Havre) et sa côte de falaises, y compris Étretat et sa Porte d'Aval. Inoubliables sont certaines toiles qu'il peignit à Vétheuil (où il vécut de 1878 à 1889) reproduisant tour à tour son mail de tilleuls sur les berges de la Seine, ses neiges et givres en hiver ou le dégel du fleuve au milieu de sa verdure.
Et on contemple aussi, curieux, ce long dialogue qu'ont établi avec lui des artistes variés de l'Abstraction picturale, tels Zao Wou-Ki (pinyin Zhào Wú Jí : peintre franco-chinois, né à Beijing en 1921), Joan Mitchell (Chicago, 1925-Vétheuil, 1992), Sam Francis (1923-1994), Gerhard Richter (Dresde, 1932) ou Jean-Paul Riopelle (Montréal 1923-2002).
L'UNED a préparé une vidéo au sujet de cette exposition :


Comme à propos de la pertinence de cette exposition, on a pu lire certaines bourdes érudites dans la presse, je trouve approprié de souligner un détail qui prouve l'importance précise de Monet à l'heure de reconstruire l'archéologie de l'abstraction picturale, ce qui ne saurait exclure ou négliger, bien entendu, le poids d'autres apports théoriques en la matière. En 1911, Vassily Kandinsky (Василий Кандинский, Moscou 1866-Neuilly-sur-Seine 1944) publia un essai qui s'intitule en castillan De lo espiritual en el arte (Paidós, 1996) ; Über das Geistige in der Kunst, dans l'édition allemande qui est à la base de cette version espagnole ; Du Spirituel dans l’Art, dans l'édition française. 
Voici un extrait de la préface signée par l'architecte, peintre et sculpteur Max Bill (1908-94), théoricien suisse de l'art concret, qui en dit long sur le moment où l'objet tombe dans le discrédit aux yeux de Kandinsky en tant que must dans un tableau :
"Quizá convenga recordar que el libro de Kandinsky no fue escrito en el vacío y que el artista no llegó a sus conclusiones sin apoyarse en la problemática de su época. En Rückblicken describe así las impresiones artísticas más decisivas de su evolución: "En aquel mismo tiempo tuve dos experiencias que marcaron toda mi vida y me conmocionaron hasta el fondo. La primera fue la exposición francesa en Moscú —en primer lugar el "Montón de heno" de Claude Monet— y una representación de Lohengrin dirigida por Wagner en el Teatro Imperial. Yo sólo conocía el arte realista, casi exclusivamente el ruso; (...). De pronto vi por primera vez un cuadro. El catálogo me aclaró que se trataba de un montón de heno. Me molestó no haberlo reconocido. Además me parecía que el pintor no tenía ningún derecho a pintar de una manera tan imprecisa. Sentía oscuramente que el cuadro no tenía objeto y notaba asombrado y confuso que no sólo me cautivaba, sino que se fijaba indeleblemente en mi memoria y que flotaba, siempre inesperadamente, hasta el último detalle ante mis ojos. Todo esto no estaba muy claro y yo era incapaz de sacar las consecuencias simples de esta experiencia. Sin embargo comprendí con toda claridad la fuerza insospechada, hasta entonces escondida, de los colores, que iba más allá de todos mis sueños. De pronto la pintura era una fuerza maravillosa y magnífica. Al mismo tiempo —e inevitablemente— se desacreditó por completo el objeto como elemento necesario del cuadro. En resumen, yo tenía la impresión de que una parte de mi Moscú legendario existía sobre aquel lienzo".

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